Commodité de voisinage

La « commodité du voisinage » ne relève pas de la salubrité publique au sens de l’article R. 111-2 du Code de l’urbanisme


Conseil d’Etat, 1er mars 2023, Société Energie Ménétréols c/ Préfet de l’Indre, n° 455629, mentionné aux tables du recueil Lebon

Par une décision en date du 1er mars 2023, le Conseil d’Etat était amené à se prononcer sur la question de savoir si un permis de construire pouvait être refusé en raison des inconvénients importants que présente le projet pour les conditions et le cadre de vie des riverains. Tour d’horizon de la « commodité de voisinage ».


Faits de l’espèce & procédure antérieure

En l’espèce, par quatre arrêtés en date du 23 octobre 2017, le préfet de l’Indre avait refusé de délivrer à la société Energie Ménétréols quatre permis de construire portant sur quatre éoliennes.

Ce refus était motivé par les importants effets d’encerclement et de saturation visuelle auxquels conduirait le projet proposé, compte tenu du nombre déjà très important de parcs éoliens implantés ou autorisés dans la zone. Le préfet de l’Indre avait ainsi fondé son refus sur les dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, en estimant que ces effets porteraient atteinte à la salubrité publique.

Pour confirmer la légalité de ces décisions de rejet, la cour administrative d’appel de Bordeaux, après avoir analysé les divers indices caractérisant la saturation visuelle du projet, avait relevé, par un arrêt en date du 15 juin 2021, que :

« (…) l’addition de ces risques ou nuisances serait de nature à compromettre gravement les conditions et le cadre de vie des riverains (…), le projet litigieux qui présente des inconvénients importants pour la commodité des habitants de plusieurs villages, est de nature à porter atteinte à la salubrité publique au sens des dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme.  »

CAA de Bordeaux, 5eme chambre, 15 juin 2021, n° 19BX03309

La société Energie Ménétréols s’est pourvu en cassation contre cet arrêt, amenant le Conseil d’Etat à apporter des précisions quant aux modalités d’appréciation des projets portant atteinte à la salubrité publique au sens de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme.


Etat du droit et de la jurisprudence

Pour rappel, aux termes de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, sur lequel étaient fondés les arrêtés de refus du préfet :

« Le projet peut être refusé ou n’être accepté que sous réserve de l’observation de prescriptions spéciales s’il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d’autres installations. »

Ainsi, ces dispositions ont pour finalité la préservation de deux composantes de l’ordre public : la sécurité publique et la salubrité publique.

D’une part, ainsi que le relève le rapporteur public dans la présente affaire, de nombreuses décisions jurisprudentielles illustrent le fait que les projets éoliens présentent une série de risques pour la sécurité publique susceptibles de justifier un refus de l’administration ou l’édiction de prescriptions particulières, sur le fondement de l’article R. 111-2.

En revanche, d’autre part, toujours au regard des conclusions du rapporteur public, les nuisances susceptibles d’affecter la salubrité publique ont, pour leur part, essentiellement trait au bruit généré par la rotation des pales (faisant l’objet d’un contrôle du juge quant à leur incidence sur la santé des riverains – CE, 3 juillet 2020, Mme L… et a., n° 429834), et ce critère n’avait encore jamais été convoqué au sujet de l’impact visuel des éoliennes.

A cet égard, la cour administrative d’appel de Bordeaux semblait avoir retenu une approche élargie de la notion de salubrité ; approche non retenue par la lignée de jurisprudences du Conseil d’Etat, dont il ressort « que les atteintes à la salubrité publique susceptibles de fonder un refus de permis de construire ne renvoient pas à de simples gênes ou désagréments pour le voisinage, mais à des facteurs objectifs conçus immédiatement comme rendant les lieux impropres ou quasi-impropres à l’habitation dans une aire rapprochée ».

Au regard de la présente décision de la Haute Juridiction, tel n’est donc pas le cas de la gêne visuelle occasionnée par des éoliennes distantes de plusieurs kilomètres.


Décision du Conseil d’Etat

En effet, pour annuler l’arrêt de la cour administrative d’appel de Bordeaux, le Conseil d’Etat juge :

  • D’une part, que pour apprécier si les risques d’atteintes à la salubrité ou à la sécurité publique justifient un refus de permis de construire sur le fondement de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, il appartient à l’autorité d’urbanisme compétente, ainsi qu’au juge de l’excès de pouvoir, de tenir compte tant de la probabilité de réalisation de ces risques que de la gravité de leurs conséquences, s’ils se réalisent ;

  • D’autre part, que ne relèvent pas de la salubrité publique, au sens de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, des considérations relatives à la commodité du voisinage.

« Pour juger que le projet litigieux était de nature à porter atteinte à la salubrité publique au sens des dispositions de l’article R. 111-2 du code de l’urbanisme, la cour, d’une part, s’est fondée sur les inconvénients importants qu’il présenterait pour les conditions et le cadre de vie des riverains alors que de telles considérations relatives à la commodité du voisinage ne relèvent pas de la salubrité publique au sens de ces dispositions, d’autre part, n’a explicité ni la teneur, ni la gravité des atteintes à la salubrité publique qui seraient induites par le projet. En statuant ainsi, la cour a entaché son arrêt d’erreurs de droit. »

Ce faisant, la Haute Juridiction ferme la porte à « une brèche nouvelle dans le contentieux de l’urbanisme qui permettrait à des riverains, pour n’importe quel type de construction, de se prévaloir de l’intensité du désagrément ressenti lorsqu’ils sont privés d’une vue ou heurtés par l’aspect extérieur d’un nouveau bâtiment édifié en vis-à-vis. ». De ce fait, « la commodité de voisinage » ne relève pas de la salubrité publique.

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