CE, 1°-4° ch. réunies, 1er février 2023, n° 459243, mentionné aux tables du recueil Lebon
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Par un arrêt en date du 1er février 2023, le Conseil d’Etat est venu préciser dans quelles conditions de forme et de délai la légalité d’un permis de construire modificatif pouvait être contestée, lorsque l’instance contre le permis initial est toujours en cours.
Etat du droit
Aux termes des dispositions de l’article L. 600-5-2 du Code de l’urbanisme, issues de la loi « ELAN » du 23 novembre 2018 :
« Lorsqu’un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation intervient au cours d’une instance portant sur un recours dirigé contre le permis de construire, de démolir ou d’aménager initialement délivré ou contre la décision de non-opposition à déclaration préalable initialement obtenue et que ce permis modificatif, cette décision modificative ou cette mesure de régularisation ont été communiqués aux parties à cette instance, la légalité de cet acte ne peut être contestée par les parties que dans le cadre de cette même instance. »
Ces dispositions amènent plusieurs interrogations quant aux modalités d’exercice d’un recours dirigé contre un permis modificatif (contestation permis de construire modificatif) :
- Un tel permis peut-il être contesté par le dépôt d’une nouvelle requête, distincte de celle déposée à l’occasion de l’instance contre le permis initial ?
- Ou, au contraire, le requérant peut-il se contenter du dépôt d’un simple mémoire complémentaire dans le cadre de l’instance contre le permis initial ?
- Cette action doit-elle être introduite dans le délai de recours contentieux de deux mois ? Si oui, quel est le point de départ de ce délai ?
Par son arrêt du 1er février 2023 le Conseil d’Etat apporte les réponses à ces interrogations.
Faits de l’espèce & procédure antérieure
Par un arrêté en date du 13 août 2019, le maire de la commune de Saint-Pierre-du-Perray avait autorisé un pétitionnaire à construire deux bâtiments à usage d’habitation en remplacement d’une maison. Ce permis de construire initial a été contesté par plusieurs voisins devant le tribunal administratif de Versailles.
Toutefois, en cours d’instance, le titulaire du permis initial a obtenu un permis modificatif délivré le 23 novembre 2020, venant corriger son projet sur plusieurs points qui étaient alors en litige. Ce permis modificatif a été produit devant le tribunal administratif de Versailles, qui l’a communiqué aux requérants.
Par une requête distincte introduite le 21 janvier 2021, les requérants ont alors sollicité l’annulation de ce permis modificatif.
En parallèle, dans le cadre de l’instance contre le permis initial, ces requérants ont soulevé plusieurs moyens contre le permis modificatif par un premier mémoire enregistré le 3 février 2021, puis par un second, enregistré le 23 juillet 2021, présentant des conclusions additionnelles tendant à l’annulation de ce permis modificatif.
Position de première instance
Par un jugement en date du 8 octobre 2021 le tribunal administratif de Versailles a rejeté les conclusions des requérants tendant à l’annulation du permis de construire modificatif délivré le 23 novembre 2020, les considérant comme étant irrecevables :
- d’une part en raison de leur forme (requête distincte en date du 21 janvier 2021)
- d’autre part, en raison du délai dans lequel ces conclusions ont été déposées (mémoire en date du 23 juillet 2021)
Irrecevabilité de la requête distincte du 21 janvier 2021
D’une part, les juges de premières instances ont relevé que la requête distincte enregistrée le 21 janvier 2021 ne constituait pas une contestation recevable au sens des dispositions de l’article L. 600-5-2 du Code de l’urbanisme.
Tardiveté des conclusions additionnelles du 23 juillet 2021
D’autre part, le tribunal adminsitratif a relevé que l’introduction de cette requête avait eu pour effet de manifester la connaissance que les requérants avaient acquise du ce permis modificatif, et, par conséquent, de faire courir à leur encontre le délai de recours de deux mois prévu à l’article R. 421-1 du Code de justice administrative.
Il en a déduit que ce délai était expiré lorsque les requérants ont expressément ajouté à leurs conclusions dirigées contre le permis initial, le 23 juillet 2021, des conclusions tendant à l’annulation pour excès de pouvoir du permis de construire modificatif.
Décision du Conseil d’Etat : une contestation possible sans condition de forme ni de délai
Le Conseil d’Etat censure le jugement du tribunal adminsitratif, jugeant que peut être contesté un permis modificatif délivré et communiqué au cours de l’instance portant sur le permis initial et ce, sans condition de forme ni de délai.
L’absence de condition de forme
Le Conseil d’Etat précise, d’une part, que la contestation du permis modificatif peut se faire de façon très souple à savoir :
- soit par un mémoire produit dans le cadre de l’instance à l’encontre du permis initial
- soit par une requête distincte présentée devant la même juridiction
A cet égard, la décision précise que si la contestation prend la forme d’un recours pour excès de pouvoir présenté devant la juridiction saisie de la décision initiale ou qui lui est transmis en application de l’article R. 351-3 du code de justice administrative, elle doit être regardée comme un mémoire produit dans l’instance en cours.
La circonstance qu’elle ait été enregistrée comme une requête distincte est toutefois sans incidence sur la régularité du jugement ou de l’arrêt attaqué, dès lors qu’elle a été jointe à l’instance en cours pour y statuer par une même décision.
L’absence de condition de délai
En outre, d’autre part, le Conseil d’Etat estime que la légalité du permis modificatif peut être contestée dans le cadre de l’instance à l’encontre du permis initial sans aucune condition de délai, sous réserve toutefois que :
- le permis modificatif ait été communiqué aux parties dans le cadre de l’instance à l’encontre du permis initial
- le juge n’ait pas encore statué en fond sur la légalité du permis initial.
Au cas d’espèce, la décision relève ainsi que le délai de recours de deux mois prévu à l’article R. 421-1 du code de justice administrative n’était pas opposable aux requérants, auxquels il incombait seulement de contester le permis de construire modificatif avant que le tribunal administratif n’ait statué au fond sur le permis de construire initial.
Conclusion
Par cette décision, le Conseil d’Etat étend aux permis modificatifs une jurisprudence déjà établie à propos de permis de régularisation délivré après un sursis à statuer ordonné par le juge sur le fondement de l’article L. 600-5-1 du Code de l’urbanisme (Conseil d’Etat, 16 février 2022, n° 420554). A cet égard, la Haute juridiction avait en effet déjà jugé que la contestation de tels permis pouvant intervenir tant que le juge n’avait pas statué sur le fond, sans condition de délai.
Par conséquent, le Conseil d’Etat fait preuve d’une volonté d’ouvrir largement la possibilité de contester un permis modificatif, une décision modificative ou une mesure de régularisation, délivré et communiqué au cours de l’instance à l’encontre du permis de construire initial, en excluant toute condition de forme et de délai.
Ainsi, cette décision appelle à la vigilance des porteurs de projets : eu égard au peu d’exigences procédurales auxquels sont soumis ces recours, cela risque d’inciter les opposants à un projet à systématiquement contester les mesures de régularisation intervenues en cours de procédure.