Mise en concurrence préalable

Domaine public et domaine privé des personnes publiques : clarification de l’obligation de mise en concurrence préalable


CE 2 déc. 2022, n° 455033 (publié au recueil Lebon)

CE 2 déc. 2022, M. D c/ Commune de Biarritz et Société Socomix, n° 460100 (publié au recueil Lebon)

Par deux arrêts du même jour, le Conseil d’Etat précise les règles de publicité mise en concurrence préalable applicables aux titres d’occupation délivrés par les personnes publiques, d’une part, sur leur domaine public et, d’autre part, sur leur domaine privé, au regard des dispositions de la directive 2006/123/CE du 12 décembre 2006 dite directive « Services ».


Rappels sur l’état du droit

S’agissant du domaine public, dès 1999, le Conseil d’Etat avait jugé que les autorisations d’occupation privative devaient respecter le droit interne et communautaire de la concurrence (CE, 26 mars 1999, Société EDA, n° 202260 – voir également en ce sens CE, 23 mai 2012, RATP, n° 348909).

Pour autant, par sa célèbre jurisprudence « Jean Bouin », (CE, 3 décembre  2010,  n°338272,  338527, Ville  de  Paris  et  Association  Stade  Jean Bouin), les juges du palais royal relevaient qu’aucune disposition législative ou réglementaire ni  aucun  principe  n’imposaient  à  une  personne  publique  d’organiser  une  procédure  de publicité  préalable  à  la  délivrance  d’une  autorisation  ou  à  la  passation  d’un  contrat d’occupation d’une dépendance du domaine public.

L’influence de la Cour de justice de l’Union européenne sera finalement déterminante en la matière, jugeant que les règles de la directive « Services » du 12 décembre 2006 sont   applicables   aux   autorisations   délivrées   par   les   autorités   publiques compétentes pour l’exercice d’une activité économique sur le domaine public (CJUE, 14 juillet 2016, Aff. C.458/14, Promoimpresa).

En particulier cette directive impose, par son article 12 de respecter une procédure de sélection des candidats potentiels présentant toutes les garanties d’indépendance et d’impartialité, « notamment la publicité adéquate de l’ouverture de la procédure, de son déroulement et de sa clôture », « lorsque le nombre d’autorisations disponibles pour une activité donnée est limité en raison de la rareté des ressources naturelles ou des capacités techniques utilisables ».

Cette jurisprudence de la CJUE fut l’élément déclencheur de la réforme du Code général de la propriété des personnes publiques (CG3P) par l’ordonnance n° 2017-562 du 19 avril 2017 relative à la propriété des personnes publiques, transposant l’article 12 de la directive « Services », en codifiant un nouvel article L. 2122-1-1 prévoyant, notamment, que lorsqu’un titre d’occupation permet à son titulaire d’occuper ou d’utiliser le domaine public en vue d’une exploitation économique, l’autorité compétente organise librement une procédure de sélection préalable présentant toutes les garanties d’impartialité et de transparence, et comportant des mesures de publicité permettant aux candidats potentiels de se manifester.

Il convient de préciser, toutefois, que ces dispositions du CG3P ne sont applicables qu’aux titres délivrés à compter du 1er juillet 2017 et ne sont donc pas applicables à une convention d’occupation signée antérieurement à cette date (article 15 de l’ordonnance du 19 avril 2017 – voir également en ce sens CE, 10 juillet 2020, Société Paris Tennis, n° 434582).


S’agissant, en revanche, du domaine privé, l’article L. 2221-1 du CG3P dispose que  les personnes publiques gèrent librement leur domaine privé selon les règles qui leur sont applicables.

En d’autres termes, s’agissant de la délivrance de titres d’occupation sur domaine privé des personnes publiques, la liberté demeure la règle, aucune obligation n’ayant été prévue par le législateur.


Titres d’occupation sur le domaine public : obligation de mise en concurrence préalable sur le fondement de la directive « Services »

Dans le cadre de la première affaire, le Sénat, affectataire du palais du Luxembourg, de l’hôtel du Petit Luxembourg, de leurs jardins et de leurs dépendances historiques, avait conclu avec la Ligue de Paris de Tennis un contrat ayant pour objet d’autoriser celle-ci à occuper temporairement une partie de ces dépendances domaniales afin d’y exploiter six courts de tennis, ainsi que des locaux d’accueil, des vestiaires et des sanitaires.

La société Paris Tennis, concurrent ayant marqué son intérêt à cette occupation, faisait grief au contrat accordé à la Ligue de Paris de Tennis d’avoir été conclu sans procédure de sélection ouverte préalable.

Il convient de préciser d’emblée que le contrat en litige avait été conclu le 12 janvier 2016, soit antérieurement à l’entrée en vigueur des dispositions de l’article L. 2122-1-1 du code général de la propriété des personnes publiques, lesquelles étaient donc inapplicables dans le cadre du litige.

Ainsi, le Conseil d’État était amené à se prononcer sur l’application de la directive « Services » aux conventions d’occupation du domaine public. Par sa décision du 2 décembre 2022, il intègre dans le champ d’application de cette directive, les conventions d’occupation du domaine public, en jugeant que :

  • Les dispositions de l’article 12 de la directive « Services » sont susceptibles de s’appliquer aux autorisations d’occupation du domaine public, ainsi que l’a jugé la Cour de justice de l’Union européenne par son arrêt « Promoimpresa » 
  • Le contrat litigieux, qui constitue un acte formel relatif à l’accès à une activité de service ou à son exercice, délivré à la suite d’une démarche auprès d’une autorité compétente, constitue donc une autorisation au sens de cette directive
  • Cette autorisation doit être regardée comme étant disponible en nombre limité au sens de l’article 12 de la directive
  • La spécificité de la Ligue de Paris de Tennis, en tant que délégataire de la Fédération française de tennis, n’implique pas qu’elle constitue le seul attributaire possible de ce titre d’occupation du domaine public et, par suite, que l’organisation d’une procédure de sélection s’avère impossible ou injustifiée

En conséquence, le contrat objet de la présente affaire entrait dans les prévisions de l’article 12 de la directive « Services » et devait, par suite, faire l’objet d’une procédure de sélection préalable comportant toutes les garanties d’impartialité et de transparence.

Tel n’ayant pas été le cas, le Conseil d’État procède à la résiliation de la convention avec effet différé.


Titres d’occupation sur le domaine privé : absence d’obligation de mise en concurrence

La seconde affaire est relative à l’hôtel du Palais de Biarritz, classé monument historique depuis 1993, ayant été acquis par la commune de Biarritz en 1956, celle-ci en ayant confié l’exploitation à la société d’économie mixte Socomix.

Par une délibération en date du 30 juillet 2018, le conseil municipal a autorisé le maire à signer,avec la société Socomix, un bail emphytéotique d’une durée de 75 ans portant sur les murs et les dépendances de l’hôtel du Palais.

Un conseiller municipal de Biarritz a demandé en particulier l’annulation de cette délibération au motif, notamment, qu’elle serait contraire à l’obligation de publicité et de mise en concurrence préalables imposées par les dispositions de l’article 12 de la directive « Services ».

Une nouvelle fois, le Conseil d’État était amené à se prononcer sur l’application de la directive « Services », mais cette fois, aux baux portant sur des biens du domaine privé des personnes publiques. Sur ce point, le Conseil d’Etat juge que :

  • Il ne résulte ni des dispositions de l’article 12 de la directive « Services », ni de la jurisprudence la Cour de justice de l’Union européenne (arrêt « Promoimpresa ») que les obligations de publicité et mise en concurrence préalable s’appliqueraient aux personnes publiques préalablement à la conclusion de baux portant sur des biens appartenant à leur domaine privé
  • En effet, de tels baux ne constituent pas une autorisation pour l’accès à une activité de service ou à son exercice au sens de la directive « Services »

Par conséquent, le Conseil d’État rejette le pourvoir en considérant qu’aucune obligation de publicité ou de mise en concurrence ne s’impose pour l’octroi de baux portant sur des biens du domaine privé des personnes publiques.


Conclusion

En conclusion, se pose la question de savoir ce qui justifie une telle différence d’approche entre domaine public et domaine privé.

En effet, ainsi que le rappelle la rapporteure publique Cécile Raquin dans ses conclusions sous les arrêts du Conseil d’Etat en date du 2 décembre 2022, « la CJUE ne reconnaît pas de différence de principe
entre le domaine public et privé des personnes publiques ». Ainsi, ni la directive « Services », ni la jurisprudence « Promoimpresa » ne comprend de dispositions qui permettraient d’exclure le domaine privé des personnes publiques du champ d’application des obligations de publicité et de mise en concurrence préalable.

Partant de ce constat, il serait logique de considérer que, s’agissant des titres d’occupation sur le
domaine privé des personnes publiques, le respect de ces obligations devrait être garanti par les gestionnaires dans des conditions équivalentes à celles qui prévalent pour le domaine public
. C’est d’ailleurs ce qu’a pu considérer tout un movement doctrinal et jurisprudentiel, comme cela ressort :

En définitive, l’explication de cette différence d’approche est peut-être à rechercher dans les conclusions de la rapporteure publique pour qui « le domaine public ne pouvant, par essence, pas faire l’objet d’une occupation ou d’une utilisation privative sans titre par une personne privée, c’est bien le titre octroyé qui est la condition de l’activité économique. Autrement dit, un titre d’occupation du domaine public aux fins d’y exercer une activité économique sera toujours une autorisation au sens de l’article 12 de la directive « Services ».

A l’inverse, lorsqu’elle accorde un titre d’occupation de son domaine privé, une personne publique est réputée agir comme un propriétaire privé, sans faire usage de prérogatives de puissance publique ni jouer un quelconque rôle de réglementation ou de contrôle des activités de services susceptibles d’être exercées sur ce domaine privé.

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